Aller au contenu principal

Yazid Kherfi : médiateur nomade

Vendredi 8 décembre, 18h, la nuit tombe sur la Place du Pas. Yazid Kherfi gare son camping-car, à bord duquel il sillonne les quartiers prioritaires de France et de Navarre pour son association Médiation Nomade. L’objectif ? Improviser une terrasse de café, provoquer des rencontres autour d’un thé, de musique et de jeux de société, dans le but d’instaurer un dialogue avec les habitants. Depuis 1988, Yazid s’est en effet donné pour mission d’aider les jeunes des cités et d’expliquer aux adultes le cheminement de la violence et de la délinquance. Une vocation qui plonge ses racines dans sa propre expérience.

« On ne réussit pas dans la délinquance, on finit en prison »

Né à Triel-sur-Seine en 1958, Yazid grandit dans le quartier populaire du Val-Fourré (Mantes-la-Jolie) où il connaît une adolescence mouvementée. « J’ai eu un parcours scolaire chaotique. On m’a toujours considéré comme un bon à rien, y compris dans ma propre famille ». Un sentiment partagé par plusieurs de ses amis de la cité. « Les copains en bas de chez moi étaient dans la délinquance. C’était la seule issue pour être quelqu’un. Quand on te répète à longueur de journée que tu es un minable ou une racaille, tu finis par ressembler à l’étiquette qu’on te donne. J’ai donc choisi la délinquance pour devenir quelqu’un ». Pendant 15 ans, Yazid Kherfi va s’illustrer dans des cambriolages, des braquages ou des vols de voitures. Des actes qui lui ont valu au total 5 années de prison. Jusqu’au jour où la justice française ordonne son expulsion : « Etant multirécidiviste, j’étais jugé irrécupérable ».

« Ce n’est pas parce que tu as été un ancien délinquant que tu ne peux pas t’en sortir »

Un tournant inespéré va cependant s’opérer pour lui grâce à la mobilisation des habitants de Mantes-la Jolie et de leur maire Paul Picard. « Il a dit au juge j’étais quelqu’un d’intelligent avec un potentiel. Il était même prêt à m’héberger chez lui ». Pour la première fois de sa vie, le « caïd » se sent considéré autrement : « Quand à 31 ans on s’est mis à regarder mes qualités, j’ai eu un électrochoc. J’ai donc décidé de changer ».

La première étape de cette transition se déroule à Chanteloup-les-Vignes, où Yazid travaille comme animateur à l’ACVL (Association pour l’amélioration des conditions de vie dans la ZAC « La Noé »).  L’ancien maire de la ville, Pierre Cardo, lui donne sa chance. Yazid reprend alors ses études et obtient une licence en sciences de l’éducation. Il devient ensuite directeur de la maison des jeunes (jusqu’en 2000) et développe son projet pour les jeunes des cités : « Avec Pierre Cardo, nous nous sommes battus pour que la maison des jeunes soit ouverte en soirée et le week-end. La formule a bien fonctionné : cela fait presque 25 ans que l’ACVL fonctionne après le coucher du soleil et c’est une des rares structures en région parisienne à être ouverte si tard ». Depuis, Yazid Kherfi a roulé sa bosse.

En tant que consultant indépendant, il intervient dans la France entière pour restaurer le lien social dans les quartiers. Pour lui, Chantelouples- Vignes est un modèle à suivre en matière de prévention : « Dans ce domaine, la politique de la commune est dynamique et très efficace. Il y a ici de nombreux médiateurs, animateurs, éducateurs, qui sont proches des gens et oeuvrent pour leur bien-être ».

« La prévention des dérives passe par le dialogue »

A l’image de la ville de Chanteloup-les-Vignes, le parcours de Yazid est exemplaire à plus d’un titre. L’ancien délinquant est aujourd’hui enseignant en sciences de l’éducation à Nanterre ; il est aussi diplômé en sécurité intérieure. Cependant, loin de se reposer sur ses lauriers, cet hyperactif continue sans cesse d’innover. Son projet de « Médiation Nomade » procède directement de cette volonté de casser les codes et d’aller droit au but. « Mon camping-car est une sorte de local à roulettes ; grâce à lui, je peux aller partout et ouvrir à n’importe quelle heure ».

Une démarche qui séduit autant les habitants que les élus : « Certains maires sont dépassés par les événements ; ils ne savent plus comment réinvestir l’espace public. Ils font appel à nous pour reprendre contact avec le terrain, avec les familles, avec les jeunes ». La prévention de la radicalisation est également un enjeu fort.

Pour Yazid, sur cette question, la méthode reste la même : « Il faut se mettre sur un pied d’égalité, instaurer une relation de confiance permettant de dialoguer et de se confier car il y a forcément une souffrance derrière tout ça. On essaye de se mettre à leur place et de comprendre leur raisonnement. Selon moi, il faut prendre le temps d’écouter même ceux qui ont un discours détestable. La prévention des dérives passe avant tout par le dialogue. Nelson Mandela disait « Pour aller vers la paix, ce n’est pas avec ses amis qu’il faut discuter, mais avec ses ennemis ».

« Changer de regard pour changer les gens »

Pour expliquer sa démarche, Yazid Kherfi a publié deux livres « Repris de justesse » (2000) et « Guerrier non violent » (2017) : « Je veux montrer qu’on peut faire confiance à des gens qui sont passés par la délinquance, et qui ont décidé de se racheter. Il faut changer de regard pour changer les gens ». En 226 soirées de Médiation Nomade, il a également prouvé que son projet était porteur d’une situation apaisée dans les quartiers sensibles : « Quand les gens me disent que ma venue a changé leur vie et qu’ils ont choisi de s’en sortir, je suis particulièrement touché. Quand j’entends que beaucoup ont changé leur regard rien qu’en écoutant ce que je leur expliquais, ça me redonne de l’espoir ».

Mise à jour
24/08/2021